Texte de rentrée 2017-2018

Main dans la main, avançons en confiance

Texte de rentrée 2017 Main dans la main avançons en confiance

Il n’y a pas de vie sans don, qu’elle débute par maturation, pollinisation ou fécondation, la vie sur terre ne semble possible que par l’échange et le partage. Donner et recevoir sont les conditions même de l’existence des végétaux, des animaux et des humains.

Nous sommes en permanence en interdépendance avec le monde et les autres. Pour évoluer, devenir autonome et responsable, on ne peut rester seul. Notre vie est impossible sans le soutien d’autrui.

Les moments privilégiés, de plénitude, d’intense beauté, de contemplation vécus ensemble – dans le privé de nos vies, devant une œuvre ou au cœur de la nature, dans la réalité de nos classes ou en salle des profs, au hasard des rencontres - ravivent notre reliance à l’univers et aux êtres qui l’habitent et les font avancer, idéalement présents les uns aux autres, en confiance.

Un banal après-midi de vacances entre une grand-mère et sa petite-fille férue de lecture…

  • Allez Lise, cet aprèm, on va chez le bouquiniste !
  • Maminou, j’ai pas très envie de me promener là-bas…
  • Pourquoi ma Lisette chérie ?
  • Il y a trop de pauvres à cet endroit… Ça me fait peur…
  • De quoi as-tu peur ?
  • Je sais pas … Leurs vieux vêtements foncés, tout sales et tout tristes…

Finalement, la joie de rejoindre la librairie a raison des réticences de la fillette… Et effectivement, après avoir laissé couler le temps dans la boutique à accomplir leurs achats, elles rencontrent plusieurs personnes assises sur le sol, quémandant. L’occasion pour la grand-mère de proposer une démarche de partage… Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir acheter des livres ou d’autres choses. N’est-il pas naturel de donner un peu d’argent ? « Je peux prendre la plus grosse pièce qui est dans ta main, Maminou ? »

Et Lise de prendre très à cœur ce geste. Ce qui n’échappe pas à l’homme assis à quelques mètres d’elle, conscient de ce qui se joue. Et quand cette petite fille – déjà grande – hésitant entre la crainte et l’envie de partager, arrive à la hauteur du mendiant, ce dernier lui tend un gobelet en plastique en lui disant : « S’il vous plait, Mademoiselle ». Cette expression ne résonne pas comme une demande et encore moins comme une supplication, mais comme ce qui accompagne le don de ce mendiant, l’offrande qui est faite à travers sa main tendue. Lise y dépose sa pièce en répondant naturellement : « Merci ». Cela semble plaire à l’homme. Monde à l’envers ou monde à l’endroit ? La joie de Lise est aussi perceptible. Celle de sa grand-mère tout autant. 1

Au-delà d’une simple formule de remerciement prononcée par habitude ou devoir moral, le sentiment de gratitude exprime bien cette profonde relation d’interdépendance entre tous les humains. En sollicitant une piécette, de l’aide, du temps, une explication, une compétence, une écoute…, l’autre – inconnu ou connu, conjoint, ami, ado, collègue… - ne nous fait-il pas un cadeau ? Vivre en conscience un moment de gratitude, un cheminement commun, un échange confiant, c’est un moment de cœur à cœur. C’est surtout un moment d’audace. Alors pourquoi ce « De rien » qui clôt la relation établie par le don ? N’avons-nous pas tendance à refermer précipitamment ce qui s’ouvre à nous et surtout, ce qui s’ouvre en nous, intimement, quand un peu de gratitude peut être exprimée et accueillie ? N’avons-nous pas souvent peur de perdre notre contenance ou le contrôle ? Est-ce si difficile d’accepter nos fragilités ? « Il faut oser se perdre dans ce qu’on regarde » 2

Le travail d’éducation qui nous attend est donc une œuvre de confiance qui ne se soucie ni de l’ego de celui qui donne ni de l’ego de celui qui reçoit mais uniquement de l’évidence de ce qui relie deux êtres en profondeur.

Plus spécifiquement, éduquer, c’est humaniser, même si cela crie et cogne, si cela n’entre pas dans le cadre ou déborde d’émotions, c’est aimer au sens plein du terme, c’est-à- dire vouloir que l’autre jouisse d’une vie autonome, libérée, enracinée, grâce à des lois et des normes toujours révisables, jamais figées mais clairement énoncées et sources de créativité. Dans cette œuvre d’éducation, les ados et chacun d’entre nous, avons profondément besoin de l’échange pour mettre en place, ensemble, les jalons de cette autonomisation, de cette vie qualitative.

Le chemin vers l’autonomie s’avère certes semé d’embûches, de chausse-trappes, de cailloux… Mais il se nourrit tout autant de rencontres, de coups de pouce, de mots d’encouragement, de regards positifs… Main dans la main, direction, enseignants, parents, éducateurs, condisciples, nous accompagnons le jeune dans son évolution vers l’autonomie, vers la responsabilisation, vers l’engagement, et au final, vers la conduite de sa propre vie.

Tisser des liens et se laisser tisser par eux… Subtilement. Donner et recevoir. Dans une écoute active et généreuse : poser des questions, reformuler, assurer qu’on a compris, guider, soutenir, soigner, coacher… et parfois, entendre les silences. Humblement. Et apprendre de nos ados, grandir en humanité grâce à eux, ouvrir notre regard à leur réalité… Apprendre à se connecter à ce que nous avons de plus puissant en nous et en eux, à nos forces mutuelles, à nos habilités respectives, à nos passions communes afin de ne pas passer à côté des morceaux précieux de nos années scolaires éphémères.

Devenir professeur de bienveillance, d’empathie, de collaboration et de joie, au-delà de cette propension actuelle au donnant-donnant, de cette prétention à avoir droit, au-delà de l’attente de recevoir, au-delà de la peur de ne pas recevoir assez, de la plainte, de l’amertume et de la démotivation.

Opérer finalement cet effet de bascule : tout est don et rien n’est dû. Sans calcul. En confiance. Dans la non-urgence que requiert la relation vraie. S’ouvrir à recevoir, c’est s’ouvrir à donner sans rien attendre : attention, regard, écoute, temps, créativité… C’est donner, pour la simple joie d’être une vibration qui concourt au concert du vivant. Un souffle, un esprit, une main confiée à une autre main, petite ou grande, sur le chemin de la vie. Tout est inter-relié : JE et TU dans le NOUS soutenant et fécond.

« Quand un mendiant nous tend la main, il faut le remercier parce qu’il nous ouvre le cœur » 3

Pour la pastorale  Grains de Vie,

Anne Verhaeren

 


1 Réécrit d’après SENSEI J., LONGNEAUX J.-M., FRANCARD M., d’ANSEMBOURG Th. et alii, Entre dette et reconnaissance, quelle place pour la gratitude ?, Ed. Weyrich, Coll. Printemps de l’éthique, Neufchâteau (2017)

2 DÜRCKEIM K. G., Le centre de l’Être (1992)

3 GOUGAUD H., Les sept plumes de l’aigle (1995)

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